“Face à l’urgence environnementale, mon modèle d’écurie n’était plus d’actualité”, Vincent Blanchard

Dans le monde de l’élevage de chevaux de sport, ils ne sont pas encore très nombreux à se montrer aussi intéressés et attentifs que lui aux questions environnementales. Qu’importe, à sa façon, un peu en franc-tireur, et avec sa part de feeling, Vincent Blanchard est passé à l’action, guidé par ce qui relève pour lui de l’évidence. L’éleveur et cavalier des Deux-Sèvres raconte la réflexion qui l’a mené à bâtir sa nouvelle structure, alimentée par de l’énergie renouvelable produite sur place, entre autres initiatives.



Action, réaction. Vincent Blanchard ne semble pas être un homme à tourner autour du pot, à tergiverser indéfiniment ou à se reposer sur les autres. L’urgence climatique apparaît chaque jour plus évidente pour cet éleveur et cavalier de quarante-cinq ans, qui témoigne comme beaucoup des successives grosses périodes de sécheresse en France, rendant plus compliquées les activités agricoles. L’originaire de Bressuire, dans les Deux-Sèvres, admet d’ailleurs que, contre toute attente, le monde de l’équitation et de l’élevage s’intéresse à ce sujet peut-être moins qu’ailleurs. Surtout, selon lui, “même quand certains y sont sensibles, que font-ils ? Rien.” Point de jugement en cela ; le propos relève davantage d’un simple constat et d’un étonnement personnels, face à une attitude qui ne correspond pas, semble-t-il, à sa façon d’être. En 2002, après avoir été embauché comme cavalier de jeunes chevaux par l’instructorat d’équitation à Saumur, il s’était établi dans une structure équestre créée une trentaine d’années auparavant et “qui s’est avérée un peu vieillissante et trop énergivore.” Quinze ans plus tard, “face à l’urgence environnementale, je me suis dit que ce modèle d’écurie n’était plus d’actualité. Alors, j’ai décidé de la vendre et de repartir sur un projet vertueux sur tous les plans, au niveau de l’électricité, de l’eau, de l’organisation, etc.”

L’installation, avec ses écuries et une très belle maison attenante, n’avait pourtant pas que des inconvénients. Proche de l’ancienne exploitation de Pascal Cadiou, actuel président du Stud-book Selle Français, auprès duquel il a commencé comme apprenti puis fait ses premières armes durant deux ans, la structure était située à Coulon, petite cité de caractère au cœur de la Venise verte et du Marais poitevin. Lieu enchanteur s’il en est ! Mais comme elle se trouvait dans l’enceinte du parc régional, “il était impossible de déconstruire pour reconstruire, ou même de réaménager. Dans le parc, on ne peut toucher à rien. Alors je me suis dit que ce n’était pas grave, que j’allais vendre l’ensemble et reconstruire un projet vertueux, hors site classé, dans une prairie de la zone agricole de Coulon. J’ai potassé un peu et je suis reparti d’une page blanche. J’ai pris ma feuille, mon crayon, et j’ai essayé de réfléchir à tout : l’orientation pour les panneaux solaires, l’organisation pour le travail quotidien, l’eau… Je savais ce que je voulais, mais il fallait concrétiser toutes ces idées.” Vincent Blanchard finit ainsi par sortir un bâtiment de 63 m de long sur 36 m de large, comprenant une trentaine de boxes, quatre salles de soins, deux selleries, du stockage et un manège de 25 m sur 30 m ouvert sur la carrière. Il s’y est installé à la fin du premier confinement, début juin 2020. “Je n’ai pas eu besoin d’un architecte, car j’adore bricoler et je connais un peu les bâtiments. J’ai pris ma boussole et je me suis renseigné auprès de deux, trois personnes, et voilà le travail !” La toiture du bâtiment est entièrement en bac acier antigoutte, “avec une lame d’air servant d’isolant entre les panneaux photovoltaïques et le bac acier.” Ces panneaux sont composés de deux centrales de 10 000 Wc* chacune, occupant une belle surface de 1 360 m2, bien que volontairement limitée : “Tous les sept mètres, j’ai un puit de lumière naturelle montant de la base du bâtiment jusqu’au faîtage, afin de conserver un confort de travail, favoriser le bien-être des chevaux, mais également économiser l’électricité ; quand il fait jour, on n’a quasiment pas besoin d’allumer la lumière.” Aujourd’hui, l’éleveur, ayant notamment croisé les étalons L’Amour du Bois (SF, Rosire x Muguet du Manoir) et Elton van de Krekebeke (BWP, Clinton x Nabab de Rêve) ou encore la jument Make My Day du Gèvres (Z, Mylord Carthago x Ukato) en tant que cavalier formateur, est confortablement installé dans sa structure avec ses quatre poulinières et ses produits.

Chez Vincent Blanchard, cavalier formateur et éleveur du Marais poitevin, on produit de l’électricité renouvelable, dont le surplus est revendu à l’extérieur

Chez Vincent Blanchard, cavalier formateur et éleveur du Marais poitevin, on produit de l’électricité renouvelable, dont le surplus est revendu à l’extérieur

© Lou Pailler / Luo Studio



Saisir les opportunités existantes

Dites comme cela, les choses paraissent simples. Vincent Blanchard concède toutefois que de tels projets peuvent se heurter à deux types de freins : un frein administratif (lourdeur des démarches) et un autre financier (lourdeur de l’investissement, même s’il s’avère rentable à terme). Car s’il existe différentes formules dans le domaine du photovoltaïque agricole pour les agriculteurs, dont, par exemple, la “location de toiture” avec l’implication d’un “tiers investisseur” prenant en charge une partie des travaux, y compris la construction du bâtiment, Vincent Blanchard a opté pour une autre voie : tout financer lui-même, rester propriétaire de l’ensemble et revendre la totalité de la production d’électricité. “Les gars qui sont accros aux dossiers peuvent sans doute bénéficier d’aides, via l’Europe, le Fonds Éperon ou autre. Moi, j’ai préféré investir à 100 % moi-même. À partir du moment où l’on touche des aides, on a toujours des comptes à rendre. Par exemple, la Politique agricole commune (PAC) est utile, mais en y bénéficiant, il faut sortir les chevaux du pré à tel moment, les remettre à partir de telle date ; certains vous expliqueront que pour obtenir de l’herbe il faut mettre un peu d’azote, etc. Étant loin de tout cela, je préfère gérer moi-même.” D’un point de vue technique, Vincent Blanchard a choisi “des panneaux allemands, des Burger 380, recyclables à 95 % ; c’est-à-dire que le verre est recyclable, tout comme le cuivre, le plastique et l’aluminium. Le seul élément à ne pas l’être est le lithium, mais il le sera peut-être un jour…” L’ensemble des deux centrales de panneaux photovoltaïques lui a coûté 220 000 euros hors taxes. En outre, étant situé dans une zone agricole où l’électricité n’était pas déjà acheminée, il a fallu faire venir un transformateur et des poteaux électriques – “un an et demi de dossiers…”, précise-t-il –, induisant un coût supplémentaire de 35 000 euros. La totalité a été financée à 100 % par un emprunt. “Pour l’instant, toute l’énergie produite est revendue sur le réseau, car lorsque j’ai signé mon contrat de vingt ans renouvelable avec Gérédis (gestionnaire du réseau de distribution d’électricité concédé par le syndicat intercommunal d’énergie des Deux-Sèvres, ndlr), il s’est avéré plus intéressant de revendre 100 % de ma production et d’acheter le peu d’électricité dont j’ai besoin pour le bâtiment ; très lumineux, il est en outre équipé de LED, et j’ai mis des interrupteurs partout (permettant de tout commander de chaque entrée de l’écurie sans avoir à se déplacer). La consommation électrique annuelle du bâtiment est donc minime (4 500 kWh). Seule ma pompe, nécessaire pour arroser les sols et abreuver les chevaux en été, consomme un peu d’électricité, mais ce n’est pas grand-chose. Normalement, de tels panneaux peuvent aujourd’hui produire pendant quarante-cinq à cinquante ans. J’ai choisi de les amortir sur quinze ans, période pendant laquelle ma production d’électricité couvre 80 % des annuités dues pour la construction du bâtiment et l’installation photovoltaïque. Puis, pendant les vingt années suivantes au minimum, les gains de la production électrique me reviendront à 100 %. Aujourd’hui, sur une année bien ensoleillée, mes deux centrales peuvent potentiellement produire 119 500 kWh, pour un gain financier total d’environ 26 000 euros hors taxes.”



Un projet guidé par des convictions

La rente est loin d’être négligeable ! Nul doute, par conséquent, que les motivations pour enclencher ce type d’investissement dépassent souvent les pures préoccupations environnementales, et Vincent Blanchard a évidemment fait ses comptes avant de se lancer. Mais on sent bien que le moteur de tout cela est loin d’être seulement financier. Il explique en effet comment, depuis plusieurs années, “on voyait bien tous les problèmes” provoqués par l’impact des activités humaines sur le climat et l’environnement. Il évoque alors la maison familiale en bois qu’il a également fait construire avec son épouse à côté de l’écurie, “un projet encore plus vertueux, d’une maison qui ne produit pas de l’énergie, mais presque ! Elle est isolée en ouate de cellulose et en laine de bois compressée, à peu près autonome en électricité grâce à huit panneaux photovoltaïques, dépourvue de radiateurs et avec pour seul chauffage un petit poêle à granulés” ; il a également installé un bassin de décantation lui permettant de récupérer 800 à 900 m3 d’eau de pluie par an, et a banni les produits phytosanitaires. Vincent Blanchard raconte comment son père, déjà, avait acheté il y a quarante ans un vieux moulin dans le nord des Deux-Sèvres, non pour faire de la farine, mais pour recréer une centrale hydraulique à l’extérieur de la maison familiale afin de produire son électricité. Aujourd’hui, le dernier des trois enfants de Vincent, âgé de douze ans, “est assez sensible également à tous ces sujets-là. Il a un jardin, un potager… Il fait déjà plein de choses.” Alors que faire pour que davantage d’exploitants adoptent ce type de démarche ? “Il est certain qu’il y a des freins techniques et financiers. Si l’on pouvait faciliter les choses d’un point de vue administratif, tant mieux. Pour autant, je pense que tout part de l’envie de faire. Beaucoup de gens me rendent visite et me félicitent, mais ils ne se mettent pas pour autant à réarranger eux-mêmes leurs écuries, installer des panneaux, ou chercher une solution pour l’eau…”

Vincent Blanchard a également installé un bassin de décantation lui permettant de récupérer 800 à 900 m3 d’eau de pluie par an.

Vincent Blanchard a également installé un bassin de décantation lui permettant de récupérer 800 à 900 m3 d’eau de pluie par an.

© Lou Pailler / Luo Studio



Une ouverture d’esprit

Pourtant, même s’il est vrai que tout le monde ne passe pas à l’action, Vincent Blanchard reconnaît que “la prise de conscience est quand même assez importante actuellement. L’autre jour, je me trouvais au Cycle classique de Mazeray, chez Jérôme Gachignard (cavalier et fondateur du centre hippique de Mazeray, ndlr). Le soleil cognait très fort, alors que nous n’étions que le 13 juin, au début de la saison ! Le matin, nous avons pris un gros abat d’eau (forte chute de pluie, ndlr), et la carrière était déjà sèche le soir même… Nous avons dû l’arroser à nouveau en fin de journée malgré la grosse averse tombée quelques heures plus tôt !” Vincent Blanchard ne cache d’ailleurs pas son appréhension au sujet de l’eau, dont le futur manque pourrait plonger plusieurs centaines de milliers de Français en stress hydrique à partir de 2050, selon les projections du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). “On n’a pas encore assez conscience de ces questions-là”, regrette-t-il. “Aujourd’hui, nous sommes assis sur une branche relativement solide, mais si elle casse, les choses vont être compliquées… J’habite dans le département des Deux-Sèvres, où le collectif “Bassines non merci” est très présent (le mouvement citoyen et pacifiste est opposé à l’installation de la mégabassine de Sainte-Soline, jugée néfaste pour le cycle de l’eau par de multiples collectifs scientifiques et d’associations écologistes, ndlr). Je connais par cœur Julien Leguet, qui est à l’origine de cette mobilisation (le batelier et militant est porte-parole de “Bassines non merci”, ndlr). S’il s’en va visiter le centre équestre de Niort un 1er août et qu’il voit des arroseurs tourner sur la carrière pour arroser du sable en période de sécheresse, il risque de ne pas être d’accord… Et, qu’on se le dise, est-ce que les gens comme lui n’ont pas un peu raison ? On peut se poser des questions…” En parlant de “ces gens-là”, Vincent Blanchard fait évidemment référence aux militants écologistes, occupant nombre de discussions dans l’univers agricole. Il se défend d’en être, les percevant, semble-t-il, comme souvent trop extrêmes. “Je ne suis pas un pur et dur”, dit-il. “J’estime seulement qu’en faisant attention, on peut réussir à trouver un chemin pour tout le monde.”

*Le watt-crête (Wc) correspond à la puissance électrique maximale pouvant être fournie par un panneau photovoltaïque dans des conditions de température et d’ensoleillement standard.