“Nous avons déjà les yeux rivés sur les championnats du monde”, Sophie Dubourg
En 2025, l’équitation française a gagné pas moins de quarante-neuf médailles en championnats internationaux, dans dix disciplines différentes. Pour celles placée sous l’égide de la Fédération équestre internationale (FEI), soit saut d’obstacles, concours complet, dressage, para-dressage, voltige, endurance, attelage, les Seniors avaient rendez-vous pour des championnats d’Europe, avant des Mondiaux l’an prochain qui revêtent une importance toute particulière sur la route des Jeux olympiques et paralympiques de Los Angeles 2028. Sophie Dubourg, directrice technique nationale, dresse le bilan des performances de l’équipe de France.
Chez les Seniors, dans les disciplines olympiques, de nouvelles équipes d’encadrement ont été nommés en début d’année. Quel mot d’ordre leur a été donné concernant les championnats d’Europe Seniors?
Le mot d’ordre était l’ouverture à de nouveaux couples pour engranger de l’expérience, ce qui n’a pas toujours été facile à recevoir pour les nouveaux staffs, qui avaient légitimement une réelle envie d’obtenir des médailles. Avec les élus, nous les avons rassurés et avons réaffirmé notre souhait de sélectionner, notamment pour les grandes échéances qui précèdent des championnats qualificatifs pour les Jeux, de nouveaux couples, quitte à prendre quelques risques. Nous les avons soutenus sur cette ligne de politique sportive, en leur apportant des moyens de communication pour expliquer leur choix. Par exemple, nous avons ajouté aux communiqués de presse d’annonces de sélection le mot du sélectionneur, qui contextualise leur décision, avec toujours ce souci d’ouverture à de plus en plus de nouveaux couples en vue des prochaines grandes échéances.
Quel bilan tirez-vous chez les Seniors? Ils ont remporté deux médailles européennes dans les disciplines olympiques et paralympiques, un titre individuel en para-dressage et le bronze par équipes en complet ?
C’est une très belle médaille pour le concours complet, avec plusieurs couples qui honoraient leur première sélection et ont pu engranger de l’expérience. Ce n’était pas forcément la configuration première attendue par le sélectionneur national Jean-Luc Force (qui a fait face aux forfaits tardifs de Nicolas Touzaint et Karim Laghouag en raison de la méforme d’Absolut Gold*HDC et Triton Fontaine, ndlr), mais pour moi c’est une bonne chose. Des couples expérimentés ont rencontré des difficultés dans leur préparation de ce championnat et ont été écartés de la sélection. Ces événements ont encouragé les staffs à la prise de risque que nous souhaitions. Et les résultats sportifs ont aussi donné confiance aux staffs comme aux propriétaires, pour élargir un peu cette liste de couples en route pour les championnats du monde de l’an prochain.
En saut obstacles, c’est une déception sportive parce qu’individuellement, nous avions des couples très forts. Il y a eu une très belle cohésion, mais un manque d’expérience en championnat, notamment de nos plus jeunes cavaliers. La concurrence était aiguisée et avec un parcours à quatre points, c’était une chance de médaille qui s’envolait. La déception n’a été que de courte durée puisque Jeanne et Nina, qui ont pu rencontrer plus de difficultés, ont su rebondir dès le lendemain de ce championnat, en performant et gagnant en Coupe des nations. Nous avons besoin de cette nouvelle génération, dont l’expérience a été renforcée et sur laquelle nous devons capitaliser.
En para-dressage, il y a une très belle ascension couronnée par une médaille individuelle, qui n’efface malheureusement pas la pauvreté de l’effectif: nous avons en effet participé aux championnats d’Europe avec seulement trois couples et non quatre comme nous en avions la possibilité. La qualité du suivi des couples pouvant performer n’est pas à remettre en question. Toutefois, les élus fédéraux ont clairement demandé à la direction technique de mettre en place une politique de développement et de détection. Concrètement, cela passe par l’accessibilité des clubs aux personnes en situation de handicap, puis à la compétition et enfin aux stages de perfectionnement au haut niveau. Nous devons viser d’avoir au moins six ou sept couples au niveau pour pouvoir former une équipe de quatre lors des grandes échéances.
J’ai la même analyse pour le dressage concernant les effectifs. Nous avons été centrés sur la performance aux Jeux olympiques de Paris 2024 et nous avons aujourd’hui beaucoup de retard. Cela n’est presque pas normal de se retrouver avec si peu de couples potentiellement sélectionnables en Grand Prix de niveau 5*. Après, c’est toujours tant mieux pour des couples; je pense notamment à Bertrand Liegard, qui a tenu sa place dans l’équipe. Derrière, il y a quand même une marche importante entre le niveau du Groupe 2 et celui de notre actuel Groupe 1 qui est – il faut bien le dire – un peu déshabillé. Nous ne pouvons pas toujours nous retrancher derrière l’effet générationnel de chevaux. Notre staff s’est énormément centré sur les JO de Paris, comme dans les autres disciplines. Ils ont performé et renvoyé une très belle image de l’équitation française, mais nous payons aujourd’hui ce focus car nous n’avons pas suffisamment développé les effectifs en parallèle. Nous avons des outils formidables comme le Grand National FFE/AC Print et c’est aussi à nous, Fédération, de donner envie et d’animer cet accès au haut niveau grâce aux stages ainsi que par l’ensemble de la dynamique en compétition. Nous avons de très beaux concours nationaux et internationaux sur notre territoire. À nous d’observer et de communiquer avec les cavaliers et les propriétaires pour leur proposer un projet sportif motivant.
“Attraper ces qualifications pour les Jeux de Los Angeles dès 2026”
La voltige reste également une discipline pourvoyeuse de médailles, avec le titre de Quentin Jabet…
Ces staffs savent former des trios voltigeur/longeur/cheval, travailler sur un modèle d’entraînement et de performance qui prépare de futurs médaillés. Ils ont une réflexion annuelle systématique sur la relève. C’est un modèle à prendre en compte, sans oublier que c’est facilité par le Pôle France FFE établi sur le site saumurois de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE). Faire cohabiter des groupes de différents niveaux apporte une bonne dynamique et fluidifie le relais entre les participants aux championnats de l’année et les générations suivantes.
Concernant l’attelage et l’endurance, autres disciplines FEI, les bilans sont plus contrastés avec une médaille individuelle en endurance mais l’élimination de l’équipe. Quels sont les enseignements acquis des championnats d’Europe?
En endurance Seniors, c’est la première fois que nous connaissons cette déception-là. La course s’est déroulée dans des conditions difficiles, et il y a peut-être eu un petit excès de confiance. Nous avons vu que le staff a tout de suite réaxé le travail pour l’échéance internationale des Jeunes. C’est une discipline exigeante. Malgré la qualité de nos cavaliers et de nos chevaux, cela n’est pas passé cette année. Nous avons débriefé la préparation. Ce fut une année sans, mais vu le palmarès très consistant des dix dernières années, ce n’est pas très inquiétant.
En revanche, il y a une vraie réflexion à mener en attelage, et notamment sur les attelages à quatre chevaux, avec un travail à mener sur les objectifs et le développement. Nous tournons avec trois attelages, ce qui est là encore trop peu. Contrairement à la concurrence, nous n’avons pas assez progressé. Nous savons depuis longtemps que nous avons un effectif réduit. Nous leur demandons beaucoup et il y a peu de professionnalisation dans l’attelage en France. C’est difficile, voire quasi impossible d’en vivre. Cela fait plusieurs années que nous travaillons sur le même schéma et nous devons interroger notre préparation. Nous avons mené des débriefings et devons essayer d’adopter un accompagnement différent en intégrant de nouvelles dimensions comme la préparation mentale et physique des meneurs et des soutiens techniques ponctuels. Il faut-être davantage personnaliser les choses et moins obliger les meneurs à suivre de longs stages qui les déconnectent de leur famille et de leur métier.
Quel est l’objectif pour 2026?
Nous avons déjà les yeux rivés sur les championnats du monde, qui auront lieu à Aix-la-Chapelle en août pour toutes les disciplines sauf l’endurance, dont les Mondiaux sont prévus en novembre à Al-’Ula, en Arabie saoudite. Ce sera un très bel événement pour les disciplines olympiques et paralympique, support de qualification directe pour les Jeux de Los Angeles 2028. Il y a vraiment une forte motivation; l’axe de travail et la commande au staff est d’aller attraper cette qualification dès 2026, ce qui nous permettrait de travailler sereinement les deux années suivantes pour performer aux Jeux. Pour cela, il faudra faire partie des sept meilleures nations par équipes en saut d’obstacles, concours complet ainsi qu’en para-dressage, et des six meilleures en dressage.
Par ailleurs, je remercie les propriétaires des chevaux pour leur investissement; le club des propriétaires a été réactivé et nous devons le faire vivre beaucoup plus en amont des championnats du monde qualificatifs de l’été prochain. Les élus de la Fédération sont d’autres acteurs très importants, qui nous soutiennent et nous font confiance, ce qui est très appréciable dans le cadre de nos missions.
Comment va se poursuivre le travail des couples cet hiver en vue de cet objectif?
Nous avons respecté le cycle de cette année post-Jeux ainsi que les libertés de programmation de concours de nos cavaliers, meneurs et voltigeurs, où l’intégration collective est un peu moins présente, mais l’accompagnement individuel se poursuit. Nous allons mettre à nouveau l’accent sur le travail collectif et renforcer l’accompagnement en moyens humains, techniques, mais aussi financiers, avec des dispositifs que nous avons réussi à réactiver du côté de l’Agence nationale du sport (ANS), ainsi que le soutien d’ÉquiAction, le fonds de dotation de la FFE, pour les cavaliers de concours complet, par exemple, dont la discipline est qualifiée de “médaillable”. Des stages sont programmés pour l’ensemble des disciplines dès novembre pour recréer une dynamique de préparation.
Nous allons analyser la concurrence et l’émergence de certaines nations, notamment en concours complet et en dressage. Nous devons nous interroger sur leur ascension. Il y a toujours un attrait pour les Jeux et tout le monde va vouloir y être. Nous devons donc partir armés en quête de notre qualification lors des prochains championnats du monde.
“Je suis très confiante concernant les supports de préparation dont nous disposons”
Plusieurs actions sont également programmées à destination des équipes fédérales d’encadrement…
Pour l’ensemble des staffs des disciplines ayant un championnat du monde, l’un des temps forts sera un séminaire organisé en décembre au Parc équestre fédéral. La première journée sera consacrée à un débrief des championnats de 2025 afin de capitaliser sur les différents enseignements. Le thème sera la formation continue de nos staffs afin qu’ils poursuivent leur montée en compétences. Nous voulons que ce soit aussi le cas des entraîneurs privés.
En parallèle de ce séminaire, nous allons lancer dans l’année à venir le programme nommé Plan Coach 2032, avec l’objectif de préparer les entraîneurs et les sélectionneurs de 2032. Nous nous projetons sur le long terme pour nous donner le temps de proposer des formations aussi quantitatives que qualitatives. Nous souhaitons donner envie à tous les entraîneurs qui accompagnent des Jeunes ou des Seniors aux championnats internationaux d’échanger, de partager un même discours technique et de récolter leurs besoins en formation non technique (préparation physique et mentale, par exemple). Il faut aussi s’interroger sur les nouvelles pratiques d’entraînement et le respect de l’intégrité des athlètes humains comme équins. Nous avons sept hivers pour expérimenter et faire évoluer le contenu des formations pour atteindre notre objectif.
Les couples doivent compléter des minima (MERs) pour pouvoir prétendre à une sélection aux Mondiaux…
En saut d’obstacles, nos couples concourent beaucoup donc il n’y a pas d’inquiétude. En para-dressage et dressage, les minimasont relativement faibles. Le tout est de reconstruire une équipe compétitive et de mettre un coup d’accélérateur dans notre préparation dans ces deux disciplines. Enfin, en complet, c’est plus stratégique et le staff a fait le choix de tenter de qualifier le plus de chevaux possibles dès la fin de cette saison, afin de pouvoir ajuster les temps de compétition et de repos l’a prochain.
Je suis très confiante concernant les supports de préparation dont nous disposons, en termes de stages comme de compétitions. En France, nous avons la chance de pouvoir compter sur des organisateurs qui proposent des concours de grande qualité et ce, dans les quatre disciplines olympiques et paralympique, jusqu’au plus haut label international. C’est un avantage que nous devons saisir pour affûter nos équipes.
Chez les Jeunes, il y a eu d’excellents résultats avec plusieurs titres, notamment en concours complet, des Poneys aux Jeunes cavaliers, ainsi qu’en endurance. C’est forcément un motif de satisfaction…
Oui, tout à fait. Je tiens à saluer les entraîneurs privés de nos cavaliers. Quand les médailles arrivent chez les Jeunes, c’est très rassurant quant à l’accompagnement dont les athlètes bénéficient au quotidien. Cela veut dire que nous disposons d’un vivier d’athlètes solides et d’un bon réseau d’entraîneurs privés. Je trouve qu’ils ne sont pas assez mis en lumière lorsque nous obtenons des médailles. Il y a le staff fédéral qui sélectionne et les experts techniques qui accompagnent, mais tout le travail journalier est effectué par les entraîneurs privés, d’où l’importance d’affiner notre collaboration avec ces derniers. C’est aussi l’un des objectifs du Plan Coach 2032.
Enfin, la France a également brillé dans toutes les catégories en tir à l’arc à cheval, horse-ball, pony-games, TREC et équitation de travail avec pas moins de trente-quatre médailles…
Ces disciplines ont encore fait un carton plein cette année et cela doit nous inspirer. Au sein de la direction technique nationale, il y a beaucoup d’échanges entre les cadres techniques, mais peu entre les sélectionneurs qui ne se croisent pas beaucoup, d’où l’intérêt de notre séminaire de fin d’année. Je suis persuadée que ces sélectionneurs-là ont à apporter aux disciplines olympiques et paralympique. Je commence toujours l’animation de ces séminaires en disant que ce sont finalement ceux qui ont le moins de moyens qui performent le plus. Il y a moins de compétitions, moins de dotations, mais ces sportifs ont le couteau entre les dents et vont systématiquement performer individuellement et collectivement. Notre richesse et notre chance sont de pouvoir faire se rencontrer les différents staffs pour qu’ils échangent et partagent leurs “recettes”. Il est également important que chacun ait un sentiment d’appartenance à cette fédération et puisse se dire que le modèle qui fonctionne bien dans sa discipline peut être partagé et qu’il est utile à tous.
Grâce aux efforts de la FFE, la France est l’une des rares nations au monde à présenter des équipes dans l’ensemble des disciplines et de les rassembler lors de stages. À travers ces disciplines, c’est aussi l’équitation française qui est saluée et prise pour exemple. Il y a une équitation classique, pratiquée dans les clubs, assurant le tronc commun de la préparation de tous ces sportifs qui vont exceller en championnats. Et s’il y a de la concurrence lors des grandes échéances dans les disciplines olympiques et paralympique, c’est aussi le cas dans les disciplines évoquées ici avec un nombre important de nations au départ.
Notre force en France est véritablement cette diversité des pratiques équestres, dans le respect du cheval et du cavalier. Nous sommes une grande nation équestre et avons une responsabilité collective de continuer à promouvoir notre savoir-faire, notre expertise et notre approche innovante et complète de l’équitation. L’équipe de France, qui rassemble sous sa bannière tous les acteurs du sport, rayonne grâce aux médailles glanées chaque année. Soyons fiers de porter nos couleurs et de faire rayonner la belle équitation à travers le monde!

