“Le cheval est un médiateur extrêmement puissant pour les militaires blessés”, adjudant-chef Renaud
La cinquième promotion de la formation de médiateur équin lancée par la Fédération française d’équitation (FFE), a entamé sa formation le 15 septembre. Diplômé de cette même formation en 2025, l’adjudant-chef Renaud Demars, référent national en équitation adaptée dans les Armées au Centre national des sports de la Défense, anime des stages de reconstruction pour les militaires blessés et leurs familles. Rencontre.
Depuis 2022, vous êtes le référent national en équitation adaptée dans les Armées. Quelle est votre mission?
Au sein des armées, depuis une dizaine d’années, il y a une volonté ministérielle et interministérielle de créer un parcours de reconstruction par le sport. Cela peut être du rugby fauteuil, de la voile, de la plongée, de l’équitation, etc. Quand le précédent référent a quitté l’institution, il m’a contacté. Étant passionné par l’accompagnement des militaires blessés, j’ai évidemment accepté de prendre sa suite et d’assurer la pérennité de l’héritage qu’il m’a légué. Mon but est de me saisir de l’existant et de le développer. L’accompagnement des blessés est de plus en plus déployé avec les années.
Quel est l’enjeu de l’accompagnement de ces blessés?
Dans un premier temps, il s’agit de leur donner des outils pour qu’ils se sentent mieux, mais aussi, pour ceux allant au bout du parcours, d’accélérer significativement leur processus de réhabilitation dans les armées. L’objectif est la réinsertion en milieu professionnel. Il n’y a rien de pire pour un militaire passionné par son métier que de s’entendre dire que tout est terminé. Si le sport, et notamment l’équitation, peut les amener à retrouver une place, même différente du fait de leur blessure, dans l’institution, c’est très valorisant pour eux. J’accompagne des militaires de tous les âges. Malheureusement, certains n’avaient que dix-neuf ans et ont vécu un début de carrière compliqué. Il y a aussi des vétérans qui ont soixante ou soixante-cinq ans, ne sont plus dans l’armée mais sont généralement suivis par l’Office national des anciens combattants. C’est un peu une bulle d’oxygène pour certains parce qu’ils n’ont pas pu bénéficier immédiatement de ce parcours, faute de son existence à l’époque de leur accident. Plus nous les aidons à identifier rapidement le sport qui leur donne les outils pour avancer dans leur vie personnelle, plus l’accompagnement est efficace. Chacun trouve l’activité où il s’épanouit, se reconstruit.
Certains militaires ayant suivi le parcours de reconstruction ont même participé aux Jeux paralympiques. Je ne pense pas que j’aurai des cavaliers aux Jeux – et ce n’est pas mon objectif – mais si j’arrive à leur faire pousser la porte d’un club, et que ce dernier se donne la mission de les amener à la compétition, ce serait super!
Que mettez-vous en place autour de la médiation avec les équidés?
Aujourd’hui, je propose deux types de stages. Le premier est un stage “solo”, réunissant au maximum six blessés qui viennent du lundi au vendredi pour de l’équitation adaptée. Nous travaillons sur la communication, le bien-être, le dépassement de soi et l’estime de soi. Ensuite, ils ont la possibilité de revenir pour le second type de stage, avec des membres de leur famille ou des personnes qui ont une importance dans leur reconstruction. En effet, après une blessure, les conjoints ou conjointes et les familles font parfois malheureusement face à une personne qui n’est plus celle qu’ils ont connue. Parfois, les familles se déchirent. Ces stages collectifs, s’ils interviennent à temps, peuvent aider à continuer d’avancer. Ce sont deux beaux outils.
L’attelage occupe une place importante durant ces stages.
Je l’utilise à tous les stages, lors de deux demi-journées. Chaque stagiaire évolue en trio avec un cheval et un militaire de la filière équestre. Cela permet de travailler la cohésion et le fait de reparler à des militaires, car ils peuvent être en rupture avec l’institution. Lors de la première session, nous allons dans le parc du château de Fontainebleau. C’est volontairement un moyen de décompresser après une journée chargée en émotions. Cela fait travailler sur l’estime de soi, parce qu’il faut dire bonjour aux personnes civiles rencontrées et dont le regard est attiré par les chevaux. Il y a aussi le fait de maîtriser toute cette puissance dégagée par les chevaux qui tractent la voiture hippomobile, tout en restant très fin. Par l’intermédiaire des guides, le cheval sent si la personne est stressée. Il y a donc du contrôle, de la régulation de soi. Un peu plus tard dans la semaine, nous partons pour une seconde session en forêt de Fontainebleau où ils peuvent monter leur cheval s’ils le souhaitent. Cela crée des moments avec beaucoup de sourires, du dépassement de soi et autre. À la fin, ils sont tellement fiers et heureux! Pendant les stages, les activités sont proposées, mais jamais imposées. Surtout, nous ne laissons jamais un camarade sur le côté – c’est une valeur militaire. Nous adaptons les activités au besoin, l’important étant de les faire ensemble.
“Je mets à profit mon parcours de vie pour accompagner mes camarades”
Quels résultats observez-vous et quels sont les retours des participants?
Après chaque stage, les observations sont complètement différentes et tellement puissantes que cela me donne souvent des frissons. La chose la plus représentative est qu’il s’agit de militaires qui viennent, ne s’adressent qu’à moi car ils connaissent rarement les autres, et qui remercient tout le monde à la fin, se prennent tous dans les bras, échangent, etc. Parfois, ce sont des personnes qui n’étaient pas sorties de chez elles pendant un long moment et ne communiquaient plus. Quand ils repartent, ils ont relevé la tête et retrouvé le sourire. Pour arriver à ces résultats, le cheval est un outil extrêmement puissant. Pour moi, mais aussi pour mes collègues qui sont en reconstruction via le sport, le jour où les gens qui ont suivi le parcours viennent nous dire qu’ils n’ont plus besoin de nous, parce qu’ils ont repris une vie sociale et professionnelle, c’est la plus belle récompense. Cela montre l’efficacité du dispositif et que l’accompagnement par le cheval porte ses fruits. Chaque parcours est différent et propre à chacun.
Vous avez vous-même vécu les bienfaits du contact avec les chevaux…
Depuis que je suis tout petit, mais encore plus depuis les attentats du 13 novembre 2015 au Stade de France, où j’ai été blessé en service, quand je suis avec le cheval, je n’ai plus de problème. Je suis concentré sur ce que je fais avec le cheval, j’oublie tout le reste, comme si mon cerveau était hypnotisé. Après les attentats, je suis toujours allé au travail. Les premières fois où je suis ressorti, je n’étais pas serein. Mais en étant avec le cheval, je me suis laissé porter. Je me suis dit que, de toute façon, le cheval allait m’accompagner si je me sentais en difficulté. Il y a un côté rassurant. Grâce aux chevaux, je me suis rendu compte de l’importance d’utiliser son intelligence émotionnelle et sa sensibilité. Je mets à profit mon parcours de vie pour accompagner mes camarades. Je prône plus de sensibilité et un développement de l’humain que de la technique équestre. Ce que je fais avec les blessés, je pourrais le faire avec des cavaliers “valides”. Chacun sa vocation et, honnêtement, je ne veux pas faire autre chose comme métier.
Pourquoi avez-vous choisi de suivre la formation de médiateur équin de la FFE?
Il me manquait plein d’outils. Il y a des choses que je faisais avec ma sensibilité, mais que je ne savais pas nommer ou dont je ne pouvais pas véritablement mesurer la puissance. J’ai appris à affiner ma maîtrise de certains outils, j’ai découvert d’autres pratiques et surtout gagné en agilité professionnelle en renforçant mes compétences comportementales en lien avec les accompagnements. De nombreuses formations existent, mais celle de la FFE était pour moi le choix le plus pérenne par rapport à l’institution militaire. Ce rapprochement avec la filière me semble primordial.
Par ailleurs, avec le réseau fédéral associé au réseau militaire, je pense qu’il y a de belles choses à construire et développer. C’était un choix logique. La certification apporte une légitimité, permet d’être identifié auprès de la FFE et de créer une synergie entre les deux institutions afin de coopérer. Le réseau de médiateurs équins permet aussi de créer un maillage territorial pour orienter les personnes que je rencontre et qui sont intéressées par les bienfaits du cheval. Maintenant, je souhaite continuer à développer ma pratique. Je suis grandement passionné par l’utilisation de l’intelligence collective. On verra où cela me mènera.
QUI EST L’ADJUDANT-CHEF RENAUD DEMARS?
Issu d’une famille non équitante, Renaud Demars a débuté l’équitation à la Société hippique nationale de Fontainebleau, devenue la Section équestre de Fontainebleau, à l’âge de sept ans. Si son arrière-grand-père, qu’il n’a pas connu, était gendarme à cheval, sa famille proche n’était pas militaire et il a commencé à travailler dans le civil avant de passer le concours de gendarmerie et d’intégrer le régiment de cavalerie de la Garde républicaine en 2005, où il a vécu dix-huit belles années: “La vie m’a amené à ce que je fais aujourd’hui. J’ai été blessé lors des attentats du 13 novembre 2015 au Stade de France, alors que j’étais en service. Je ne me suis jamais arrêté, malgré le syndrome de stress post-traumatique, parce que j’avais les chevaux. Et à un moment dans ma propre reconstruction, je me suis dit qu’il fallait en faire profiter les camarades qui n’ont pas cette chance, que je crée quelque chose. On m’a parlé d’un militaire à Fontainebleau qui pratiquait de l’équitation adaptée pour les blessés des Armées. Comme je suis originaire de là-bas, je le connaissais. Il m’a incité à créer mes stages, nommés Cent’OR, organisés par la direction générale de la gendarmerie et soutenus par le régiment de cavalerie, qui fournit le personnel et les chevaux.”
L’adjudant-chef avait témoigné de son parcours en avril 2024 lors de la troisième édition du Congrès Cheval et Diversité. Revivez son intervention en vidéo.