André Chenu, l’emblème du Plessis, a poussé son dernier souffle

Depuis deux ans, une longue maladie tenait André Chenu éloigné des terrains de concours. Le cofondateur du haras du Plessis, au Mesnil-Mauger dans le Calvados, s’est éteint aujourd’hui à l’âge de quatre-vingts ans. Retour sur la belle carrière sportive du cavalier et sur le parcours d’un éleveur et marchand unanimement reconnu, dont la notoriété et les succès ont contribué à faire du pays d’Auge un terroir d’excellence dont l’aura dépasse largement les frontières de l’Hexagone.



La vie d’André Chenu, né dans une famille d’agriculteurs manchois près de La Haye-Pesnel, fut ponctuée d’efforts, de succès avec l’équipe de France associé à Impédoumi (SF, Dynamique x Popof, Ps) et Kirchna III (SF, Night And Day, Ps x Ibrahim), d’inspiration bien sentie en élevage à partir de la fabuleuse Bourrée (Nickel, AA x Khereddine) et de sa descendance, de fidélité au Selle Français, de complicité durable avec un cercle resserré d’amis éleveurs et cavaliers, d’un réel sens commercial quand il fallait passer la main et vendre un performer et d’un véritable ancrage dans son pays d’Auge d’adoption. Ce terroir, il en fut un des principaux promoteurs et sans doute l’un des premiers quand il s’installa fin 1982 dans les beaux colombages du haras sis au Plessis Massey, micro-territoire paisible et préservé, embelli des plus grands haras de pur-sang (Aga Khan Studs, Écurie des Monceaux et autres). Inséparable d’Annick, son épouse bienaimée et alter ego, André roula sa bosse dans tous les terroirs d’élevage de l’Hexagone et concourut sur bien des grandes pistes internationales, mais c’est dans cet environnement bucolique qu’il se sentait le mieux, se considérant comme un “éleveur paysan”. Ses installations déployées sur une soixantaine d’hectares n’ont cessé de s’améliorer au fil des années. Entre les pommiers et les vallons du Mesnil-Mauger, il aimait amener à maturité ses chevaux du Plessis, avant qu’ils ne se révèlent en concours.

Autodidacte mais toujours associé à l’expertise de son épouse Annick, avec laquelle il partageait la quête insatiable du futur crack, André avait du flair pour marier ses juments et particulièrement la prolifique Bourrée, repérée en concours par Madame et acquise en 1980 auprès de pharmaciens de Caen. Sa lignée maternelle était digne d’intérêt. En effet, elle était en lien avec Gnomide (Quastor) d’Homer Legoupil, qui produisit notamment les frères Vondéen (ISO 189/96) et Gipsy de St Martin (ISO 156/00) par Le Condéen, ainsi qu’Udanum (ISO 153/99, Laudanum, Ps).

Bourrée est à l’origine de quatorze Selle Français dont Narcotique (Fair Play III), ISO 177/91, née pour le compte de Jacques Robillard au Haras du Houlbec, sis à Castillon-en-Auge, à quelque cinq kilomètres du haras du Plessis, et dix nés chez les Chenu. Tous sont dotés d’indices remarquables en saut d’obstacles à l’instar de P’Tit Pol (Corrent), qui avait obtenu un ISO 174 en 1992 avec Annick, Rapide du Plessis (ISO 143/89, Brilloso), Ulane du Plessis (ISO 175/95, Narcos II), Vénus du Plessis (ISO 170/96, Narcos II), Cocktail du Plessis (Palestro II), ISO 159/97, Flore du Plessis (ISO 159/02, Palestro II). Des chevaux généralement armés, conquérants, bien aux ordres, généreux dans leur modèle et très efficaces en piste. Ces dernières décennies, tous ont presque systématiquement fréquenté le circuit de la Société hippique française pour leur formation et nombre d’entre eux se sont distingués lors des finales nationales Jeunes Chevaux de Fontainebleau, y décrochant des titres ou des classements significatifs valorisant la marque haras du Plessis.  

Comme son épouse, André avait la gagne. D’abord installé à Lantheuil, entre Caen, Bayeux et la côte de Nacre, il avait connu un certain succès en concours complet, obtenant une médaille de bronze aux championnats de France, avant d’orienter sa carrière vers le concours hippique et l’élevage. Il avait révélé deux phénomènes, l’olympique Impédoumi (ISO 175/83), qui avait participé aux Jeux de Los Angeles en 1984 avec l’Italien Giorgio Nuti, et la monumentale (1,80m) et délicate Krichna III (ISO 173/84), issue de la souche du Manchois Jean-Pierre Couétil. Krichna fut sacrée championne de France des six ans avec André, avant de gagner les Derbies de Dinard et Bois-le-Roi, puis la Coupe des nations d’Hickstead et de se classer troisième des Grands Prix des CSIO de Rome et de Paris Longchamp. Après son exportation aux États-Unis, elle remporta le Grand Prix Coupe du monde de New York avec Georges Lindemann. Son seul et unique produit fut l’étalon Calisco du Pitray (ISO 133/96, Olisco), né en Sologne… et sensible comme sa mère. André s’était aussi brillamment illustré en Grand Prix avec Un Ricard (ISO 156/94, SF, Galant de la Cour x Arlequin, AA), imposant hongre fort puissant et fort bien né.

André Chenu, ici en selle sur Flore du Plessis II lors des championnats de France de 2001, fut un grand cavalier et une figure incontournable des grands rassemblements de Fontainebleau.

André Chenu, ici en selle sur Flore du Plessis II lors des championnats de France de 2001, fut un grand cavalier et une figure incontournable des grands rassemblements de Fontainebleau.

© Scoopdyga



La fidélité comme valeur cardinale

André et Annick Chenu formaient un duo emblématique à la ville comme à la scène.

André et Annick Chenu formaient un duo emblématique à la ville comme à la scène.

© Éric Fournier

Alors que le sang étranger commençait progressivement à irriguer l’élevage français, le couple Chenu s’était lié d’une amitié professionnelle solide et durable avec Patrice Boureau. À la tête du haras de La Gisloterie, établi à Sainte-Marguerite-d’Elle, dans le Calvados, ce fervent défenseur du sang Selle Français a notamment fait naître Hors la Loi II (ISO 171, Papillon Rouge et Ariane du Plessis II par Joyau d’Or A et Bourrée), étalon à grand succès aux Pays-Bas, puis d’Orient Express*HDC (Quick Star x Le Tot de Semilly), double médaillé d’argent aux Jeux équestres mondiaux de Normandie en 2014 avec Patrice Delaveau. Patrice Bourreau et les Chenu partagent la même culture, fondée sur le travail soigné, le sens de l’effort, le goût du sang dans des croisements réfléchis avec des pères Selle Français de tout premier plan (Laudanum, Ps, Narcos II, Joyau d’Or, Papillon Rouge, Quidam de Revel, Rosire, Le Tot de Semilly, Palestro II et bien sûr Quick Star, parmi d’autres), une priorité à la discrétion et une volonté de révéler patiemment les aptitudes de leurs chevaux en vue du haut niveau. Cet objectif, le trio l’a toujours maintenu en ligne de mire. Ensemble, ils ont exploité la descendance des sœurs Fleur d’Anis et Dame Ricard, issues du croisement de Laudanum et de la bonne grise Fidélité A (ISO 164/80, Arlequin, AA), sacrée championne de France avec Étienne Laboute. Ils ont fait éclore les talents du phénoménal Orient Express, dont André resta copropriétaire jusqu’à sa vente au haras des Coudrettes d’Armand et Emmanuèle Perron-Pette, situé “de l’autre côté de la haie”. Bien que prudent quant à l’ouverture du stud-book tricolore au mâles étrangers, André n’en accorda pas moins un certain intérêt pour de grands étalons performers tels que les KWPN Kannan et Mr Blue, le Brésilien Adelfos et le BWP Kashmir van Schuttershof, qu’il croisa avec parcimonie à des filles ou petites-filles de Bourrée. Le fameux étalon KWPN Untouchable 27, qui connaît actuellement un réel engouement auprès des éleveurs français, puise ses racines paternelles dans la descendance de Bourrée, via Hors la Loi II.

André et Annick Chenu ont élevé et formé beaucoup de bons chevaux, mais ont aussi permis à quelques cavaliers de talent de se faire remarquer dans le sport et l’élevage: Bruno Coutureau, Guillaume Blin-Lebreton, Cédric Hurel, Jonathan Tirard, Teddy Thellier et Alexis Deroubaix, que le couple Chenu a accompagné jusqu’aux Jeux équestres mondiaux de Tryon, en 2018 aux États-Unis. Alexis avait terminé neuvième associé à Timon d’Aure (ISO 178/18, SF, Mylord Carthago x Drakkar des Hutins), qu’André avait repéré sur le circuit SHF, avant de l’acquérir à 6 ans. Le relais est aujourd’hui pris par Bilal Zaryouh, l’ancien collaborateur de Philippe et Julien Épaillard, qui performe à 1,45m avec Grabuge (ISO 150/23), propre frère d’Orient Express qu’André a toujours beaucoup estimé. Comme un clin d’œil, le couple s’est classé huitième de son premier Grand Prix CSI 3* cet après-midi au Pin-au-Haras.

La vie d’André Chenu aura été une aventure fusionnelle avec son épouse Annick, une rigueur dans le travail long et appliqué de nombreux jeunes chevaux qui ont ensuite fait carrière au plus haut niveau mondial comme l’ancien étalon national Padock du Plessis (ISO 178/14, Kannan x Adelfos), valorisé au plus haut niveau par Timothée Anciaume, Nectar du Plessis (ISO 169/12, Carnute x Rosire), Melba du Plessis (ISO 169/09, Gala Pierreville x Kessel II), Fétiche du Plessis II (ISO 168/04, Jalisco B x Brilloso), Mats’up du Plessis (ISO 173/13, Verdi x Jalisco B) ou plus récemment l’étalon Cash du Plessis (ISO 166/24, Orient Express), performant en Grands Prix à 1,60m avec l’Italien Lorenzo de Luca. L’affixe du Plessis est une référence, sinon un modèle, dont l’aura dépasse les frontières nationales. André Chenu a largement contribué au rayonnement de la France en saut d’obstacles et du Selle Français dans le concert des terroirs d’élevage. Qu’il en soit honoré à la hauteur de son engagement.

André Chenu accompagne ici Teddy Thellier, l’un des nombreux cavaliers formés professionnellement au haras du Plessis.

André Chenu accompagne ici Teddy Thellier, l’un des nombreux cavaliers formés professionnellement au haras du Plessis.

© Éric Fournier



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