“En liberté ou en écurie, trouver le juste équilibre pour le bien-être du cheval”, Éric Louradour
Les conditions d’hébergement sont l’un des éléments majeurs influant sur le bien-être des chevaux. Le maintien dans un box de cet animal grégaire et nomade à l’état naturel suscite un grand nombre de questions, et la désapprobation d’une frange de l’opinion publique. À l’inverse, la vie au pré, incarnant une forme de liberté retrouvée, séduit un nombre grandissant de propriétaires qui peuvent se le permettre. Au-delà de ce clivage, entretenu sur les réseaux sociaux, la réalité semble plus complexe qu’il n’y paraît. Éric Louradour regrette une certaine confusion et les amalgames en la matière. Homme de cheval cultivé et très expérimenté, il appelle chacun à interroger et améliorer ses pratiques, afin de tendre vers un “juste équilibre”.
Aujourd’hui, l’opinion publique est de plus en plus influencée par les médias et les réseaux sociaux, qui façonnent sa vision du bien-être animal. Sous la pression d’associations et de militants, de nombreuses idées circulent, notamment celle selon laquelle les chevaux seraient plus heureux en liberté totale, sans intervention humaine. Pourtant, la réalité est bien plus nuancée. Si l’image du cheval en prairie peut sembler idéale, elle ne garantit pas nécessairement son bien-être. À l’inverse, certaines infrastructures équestres ne prennent pas suffisamment en compte les besoins fondamentaux de ces animaux.
J’ai souhaité réagir à ce sujet important, parce qu’il ne faut pas oublier que l’opinion publique influence directement nos dirigeants et peut inciter au vote de nouvelles lois. Il est donc essentiel de s’informer correctement et d’éviter de tomber dans des extrêmes qui, sous couvert de bienveillance, pourraient nuire au bien-être réel des chevaux. Par ailleurs, la démocratisation de l’équitation a conduit à une vulgarisation du rapport au cheval, laissant croire que tout le monde pouvait en posséder un sans en mesurer réellement les implications. Gérer un cheval requiert du temps, une attention quotidienne et des moyens financiers conséquents pour assurer sa santé et son bien-être. Or, trop souvent, ces besoins sont sous-estimés ou mal compris.
D’outil de travail à compagnon de loisir

“Gérer un cheval requiert du temps, une attention quotidienne et des moyens financiers conséquents pour assurer sa santé et son bien-être”, rappelle Éric Louradour.
© Collection privée
Il est intéressant de replacer notre relation au cheval dans une perspective historique. Autrefois, les chevaux étaient nombreux parce qu’ils étaient indispensables aux activités humaines. Ils travaillaient dans les champs, transportaient des marchandises, servaient dans l’armée et assuraient les déplacements quotidiens. Leur utilité économique et pratique impliquait une gestion rigoureuse de leur entretien, parce qu’un cheval en mauvaise santé ne pouvait pas remplir son rôle efficacement. Aujourd’hui, la situation est totalement différente. L’équidé n’est plus un outil de travail, mais un compagnon de sport et de loisir. Il est devenu un partenaire pour l’équitation classique, les compétitions, les randonnées ou simplement une relation affective privilégiée avec son propriétaire.
Ce changement profond dans notre rapport au cheval implique que les mentalités doivent évoluer. Puisqu’il ne répond plus à un besoin économique, son bien-être ne doit plus être subordonné à une rentabilité immédiate. Cependant, cette transition a aussi mené à des dérives: certains propriétaires sous-estiment les responsabilités qu’implique la possession d’un cheval et pensent qu’il suffit de lui offrir un pré ou un box pour qu’il soit heureux. Il ne suffit pas d’aimer les chevaux: il faut avoir le temps, les connaissances et les moyens de leur offrir une vie équilibrée.
La prairie, une fausse promesse de liberté?

“Un équidé a besoin d’un véritable groupe stable pour interagir, jouer et établir une hiérarchie naturelle”, dit encore Éric Louradour.
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Laisser un cheval vivre en prairie peut sembler la solution idéale: plus d’espace, plus de liberté de mouvement et une vie plus proche de son état naturel. Pourtant, ce mode de vie comporte aussi des limites. D’une part, les chevaux ont besoin d’une alimentation équilibrée et adaptée. À l’état sauvage, ils passent près de 70 % de leur temps à brouter, mais cela ne signifie pas qu’un pré suffit à combler leurs besoins nutritionnels. Selon la qualité de l’herbe, certains peuvent souffrir de carences, tandis que d’autres, exposés à une herbe trop riche, risquent des pathologies comme la fourbure. L’accès à du foin de qualité et à des compléments alimentaires est souvent indispensable. D’autre part, la vie en prairie ne met pas toujours les chevaux à l’abri des problèmes de santé. Sans surveillance attentive, les risques de blessures, de parasitisme ou de maladies augmentent. De plus, les conditions météorologiques peuvent être éprouvantes: boue en hiver, chaleur excessive en été, manque d’abri contre le vent et la pluie… Tous ces facteurs peuvent impacter leur bien-être s’ils ne sont pas correctement pris en compte.
Enfin, l’isolement social est un problème sous-estimé. Certains chevaux vivent seuls ou avec un seul compagnon, ce qui ne suffit pas toujours à satisfaire leurs besoins sociaux. Un équidé a besoin d’un véritable groupe stable pour interagir, jouer et établir une hiérarchie naturelle. Et surtout, un cheval a besoin d’attention humaine. L’emmener brouter, passer du temps avec lui en dehors du travail, interagir avec lui en liberté, etc. Ces moments de partage sont essentiels à son équilibre émotionnel. Malheureusement, certains propriétaires pensent qu’un pré suffit à rendre un cheval heureux, oubliant que le temps et l’implication quotidienne sont des facteurs tout aussi essentiels que l’espace disponible.
Les écuries, un environnement encore trop rigide
À l’inverse, la vie en écurie traditionnelle peut aussi être problématique. Beaucoup de structures ne sont pas pensées pour le bien-être du cheval, mais plutôt pour la praticité des humains. Des boxes trop petits, un manque d’accès à l’extérieur, une alimentation inadaptée (foin en quantité insuffisante, repas trop espacés), une solitude prolongée, etc. Tous ces éléments peuvent entraîner du stress, des troubles du comportement (tic à l’appui, tic à l’air, agressivité) et des pathologies digestives comme les coliques.
Des solutions existent pour améliorer les infrastructures équestres. L’idéal serait alors de repenser les écuries en intégrant des espaces de liberté et de socialisation: des boxes avec terrasse, permettant aux chevaux d’avoir un accès extérieur permanent et de socialiser; une carrière ou un paddock en sable où les chevaux peuvent être lâchés librement, seuls ou en groupe, même en hiver afin de préserver les paddocks en herbe; un accès aux prairies dès que la météo le permet, pour garantir un mode de vie plus naturel; un environnement varié, avec des possibilités de promenades et d’exploration pour stimuler leur mental.
Vers un équilibre entre liberté et encadrement

“Il ne suffit pas d’offrir un pré ou un box: il faut penser globalement à l’environnement du cheval et à son mode de vie”, préconise l’homme de cheval.
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Ni l’enfermement total, ni la liberté absolue ne sont des solutions idéales. Le bien-être du cheval repose sur un équilibre entre une vie sociale riche, une alimentation adaptée, des soins appropriés et une stimulation physique et mentale régulière. Les chevaux ont besoin de mouvement, mais aussi d’interactions avec l’humain. Beaucoup apprécient le travail monté, les promenades, les jeux et les moments de soin et d’attention. Un cheval n’a pas pour seul besoin de vivre en liberté: il a aussi besoin de lien et d’activités variées qui lui permettent de s’épanouir pleinement. Les professionnels du monde équestre ont donc un rôle essentiel à jouer. Il ne suffit pas d’offrir un pré ou un box: il faut penser globalement à l’environnement du cheval et à son mode de vie. Investir dans des infrastructures adaptées, repenser les pratiques d’élevage et d’hébergement, et sensibiliser les propriétaires à une approche plus respectueuse sont des étapes indispensables pour améliorer le bien-être équin.
Un métier passion, mais à quel prix?
Pourtant, un problème majeur se pose: les prix des pensions et des prestations restent très bas par rapport au travail que requiert réellement la prise en charge d’un cheval. Beaucoup de professionnels, en particulier les formateurs de jeunes chevaux et les responsables d’écurie de chevaux en pension, peinent à vivre correctement de leur métier. Comme tous les agriculteurs en lien avec des animaux, leur travail exige une implication totale, trois cent soixante-cinq jours par an, ce qui suscite des difficultés croissantes. Entre l’entretien des infrastructures, l’achat de nourriture de qualité, les soins vétérinaires et le temps consacré aux chevaux, les charges sont lourdes et le retour sur investissement est souvent insuffisant. Or, sans une juste rémunération, comment espérer que ces professionnels puissent continuer à offrir des conditions optimales aux chevaux et investir dans des améliorations? Il est donc crucial de prendre conscience de la valeur du travail équestre et de repenser la manière dont nous considérons l’investissement des professionnels dans le bien-être des chevaux.
Un appel à la réflexion
Plutôt que de céder aux idées extrêmes, il est temps d’adopter une vision plus équilibrée et réfléchie du bien-être du cheval. Posséder un cheval est un engagement à long terme qui demande du temps, de l’implication et des moyens. Ni l’enfermement dans un box, ni l’abandon total dans un pré ne sont des solutions idéales. Chaque cheval a des besoins spécifiques qui doivent être pris en compte pour lui offrir une vie saine et épanouie. Informer le grand public, encourager les professionnels à améliorer leurs structures, et repenser notre manière de vivre avec les chevaux sont des enjeux majeurs pour l’avenir du monde équestre. Trouvons ensemble le juste équilibre, pour le bien-être de nos compagnons quadrupèdes, tout en gardant à l’esprit que chaque changement demande du temps, des ajustements progressifs et des moyens financiers pour être mis en place durablement.
Sportivement vôtre, Éric.
