“Je cherchais, comme beaucoup de cavaliers, la meilleure manière de faire travailler mes chevaux” Romain Lavigne (2/2)
Le constat est sans appel, dans l’opinion publique comme dans l’univers équestre lui-même : le bien-être animal doit occuper une place centrale dans la pratique de l’équitation, qui doit encore poursuivre sa mue. Cette nécessité, aussi impérieuse à la base de l’apprentissage que dans le sport de haut niveau, doit s’accompagner de changements profonds, notamment dans les formations visant à préparer les acteurs du monde équestre de demain.
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© Mélinda Jorge
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Parallèlement, certains cursus, comme celui de Julie Lavergne avec sa méthode 2C2A, proposent des formations approfondies et novatrices en termes de connaissance du cheval et de qualité d’équitation. Ils sont de plus en plus nombreux à voir le jour en France. “Je cherchais, comme beaucoup de cavaliers, la meilleure manière de travailler mes chevaux tout en respectant leur équilibre physique et mental”, avance Romain Lavigne, qui suit l’un des programmes 2C2A. “L’objectif principal de cette méthode est de replacer le cheval au centre de l’équitation, en tant qu’athlète ayant des besoins spécifiques”, explique sa fondatrice, désormais basée à Royan. “Cela implique de structurer l’entraînement de sa monture de manière progressive, avec des exercices adaptés à son niveau et à ses capacités.” Inspirée notamment par les travaux du Dr Pierre Pradier, spécialiste de la locomotion équine qui s’est éteint en 2013, cette méthode repose sur quatre piliers fondamentaux que sont la connexion, la cadence, l’attitude et l’amplitude ; les fameux “2C2A”. Ces observables permettent d’évaluer et de guider le cheval dans son apprentissage, tout en respectant son intégrité physique et mentale. “Lors d’un diagnostic initial, j’analyse les conditions de vie du cheval (alimentation, mode de vie, interactions sociales, ndlr) et son état clinique. Ensuite, je le mets en mouvement pour observer son fonctionnement naturel”, explique-t-elle. Les programmes de Julie Lavergne, dont la durée varie en fonction du module choisi, répondent également à une question que beaucoup de cavaliers se posent aujourd’hui : comment entraîner son cheval de sport de manière efficace tout en respectant son intégrité physique et mentale ? “Il faut installer son partenaire dans des exercices qui l’inciteront à se prendre musculairement en charge. Cela nécessite de comprendre tout le processus de la gymnastique d’ensemble, et c’est ce que l’on apprend chez 2C2A”, affirme la formatrice. Pour les cavaliers professionnels suivant cette méthode, la rigueur et la patience sont de mise. “Cette méthode peut convenir à différents types d’équitation, pour peu que le cavalier accepte de suivre le rythme de sa monture et de respecter son développement physique. Cela signifie parfois renoncer à des objectifs sportifs si le cheval n’est pas encore prêt”, témoigne Romain Lavigne. En s’appuyant sur des séances quotidiennes, la méthode propose une progression étape par étape, qui assure des bases solides. “Cette absence de rapport de force dans la méthode de Julie est primordiale. Il ne s’agit pas d’exiger la perfection, mais de permettre au cheval de relâcher son corps et de se donner en toute confiance”, confie le cavalier professionnel. Un fonctionnement qui permet, entre autres bénéfices, de réduire le risque de blessure. “Les leçons quotidiennes que propose Julie permettent de structurer le travail et de valider chaque étape de l’apprentissage de notre monture. Cette approche méthodique, basée sur les principes de connexion, cadence, amplitude et attitude, nous aide à comprendre si le cheval est physiquement prêt, s’il a bien intégré l’exercice et s’il est dans une bonne posture. Cela nous donne également un indicateur précieux pour détecter d’éventuelles douleurs ou des inconforts, ce qui en fait une méthode préventive très utile pour les chevaux de sport”, ajoute-t-il.
Quand le bien-être équin et humain vont de pair
“Une fois que l’on a travaillé dans le monde du cheval, on peut travailler n’importe où, plus rien ne nous fait peur !”, affirme de son côté Julien Ardon, directeur de La Chabraque. À Rodez, cette structure incarne une autre facette des formations équestres, en s’adressant principalement aux jeunes à la recherche d’une insertion professionnelle dans les métiers du cheval tels que palefrenier-soigneur, moniteur ou encore groom. “Notre objectif est de mettre le pied à l’étrier de nos élèves et qu’ils repartent tous avec un travail à la fin de leur formation”, explique le directeur de l’établissement. Fondée il y a plusieurs décennies, cette école propose une expérience immersive et complète. “À La Chabraque, nos élèves sont immergés à 100 %, 365 jours par an. Ils montent quotidiennement et assurent également les gardes le week-end, tout en endossant les rôles de palefrenier-soigneur et d’organisateur d’écurie”, explique François Foucou. “Je prépare les élèves au CAP palefrenier-soigneur dans un premier temps, puis au diplôme de groom pour ceux qui souhaitent poursuivre leur formation chez nous”, explique le moniteur. Une découverte professionnelle complète du monde équestre grâce à une formation en apprentissage réalisée toute l’année dans des structures diverses. “En quarante ans d’existence, La Chabraque a développé un réseau de stages très diversifié, offrant à nos élèves une large expérience pratique. Nos élèves terminent leur formation avec des CV riches, comptant parfois plus de vingt expériences !”, s’enthousiasme-t-il. Cette diversité permet d’observer différentes pratiques et plusieurs systèmes. “Leur regard est affûté par leurs expériences, ce qui leur confère un avantage certain par rapport à d’autres élèves, parfois limités à la connaissance d’un ou deux établissements. Notre objectif est de les sensibiliser à une diversité de structures, afin qu’ils puissent placer le cheval au centre de leur pratique, quelle que soit l’approche adoptée”, explique Julien Ardon. Le CAP palefrenier-soigneur a également été transformé. “Nous avons intégré le bien-être animal comme élément central de la formation. Cela correspond à la réalité des épreuves actuelles, qui incluent davantage de travail à pied autour du cheval que monté. Cette sensibilisation est renforcée par les réseaux sociaux, qui exposent nos élèves à des expériences équestres du monde entier”, explique François Foucou.
Au-delà de l’équitation en tant que telle, cette structure met l’accent sur la médiation animale, en particulier pour des jeunes ayant rencontré des difficultés scolaires ou sociales. “La médiation par le cheval joue un rôle fondamental dans le développement de nos élèves, qui apprennent à grandir humainement en même temps qu’ils se forment professionnellement”, partage François Foucou. “Nous faisons partie des rares structures à maintenir un examen de fin d’année, alors que beaucoup privilégient aujourd’hui le contrôle continu. Je trouve cela regrettable, car cela limite la possibilité de se comparer à d’autres établissements et de bénéficier d’un jugement extérieur”, déclare également le moniteur de La Chabraque.
Un équilibre à trouver
“Ne pas déranger son cheval ne signifie pas ne rien faire”, nuance Julie Lavergne. Dans un monde équestre en pleine transformation, trouver un équilibre entre technique et bien-être du cheval est un défi majeur. La sensibilisation omniprésente sur les réseaux sociaux et à la création d’associations engagées pour une équitation plus responsable ne font que renforcer cette tendance. Cependant, des inquiétudes persistent quant à la manière dont cette évolution se concrétise. Certains professionnels y voient une menace pour la technique et les objectifs sportifs de leur pratique. “En se concentrant sur le bien-être, nous avons mis l’aspect technique de l’équitation de côté”, note Julie Lavergne. “Pourtant, la technique pure, celle qui dépasse même l’équitation académique transmise depuis des siècles, a toujours supposé le respect du cheval. Il n’était pas nécessaire de considérer l’entraînement du cheval comme quelque chose de négatif. À mon sens, nous sommes peut-être allés dans l’extrême inverse. Il est vrai que l’approche traditionnelle était parfois trop rigide, presque militaire, avec cette idée que le cheval devait simplement obéir. Cela a donné une image un peu sombre de l’équitation. Ensuite, nous avons basculé dans une vision presque utopique, avec des pratiques édulcorées : on enlève les filets, on monte à cru, tout devient féerique, mais cela reste insuffisant à mes yeux. Cette approche manque de substance pour l’équitation sportive et contribue surtout à une baisse générale du niveau technique.”
Une des solutions envisagées repose sur une réforme des formations, notamment du BPJEPS, pour inclure des modules axés sur la compréhension du cheval, sa biomécanique et son fonctionnement. “À partir de l’an prochain, une refonte du BPJEPS rétablira un examen final monté pour valider le diplôme”, annonce Delphine Rymarz, coordinatrice des formations équestres du centre UCPA de Bois-le-Roi. Toutefois, le temps accordé à la formation, d’un an aujourd’hui, ne satisfait pas encore l’ensemble des concernés. “Le BPJEPS en deux ans peut être une bonne chose sur le papier, mais il ne faudrait pas perdre les élèves… Les nouvelles générations sont un petit peu pressées, et j’ai peur qu’un BPJEPS en deux ans ne les désintéresse”, observe-t-elle. Outre les formations, les futurs professionnels du monde du cheval doivent aussi faire preuve d’autonomie et d’investissement personnel, en se tournant notamment vers la lecture d’ouvrages traitant, par exemple, de l’éthologie, du travail à pied ou d’hippologie. Les répondants du sondage ont ainsi cité des auteurs comme Chris Irwin, Linda Tellington-Jones, Sally Swift, Rachaël Draaisma ou encore Hélène Roche.
“Pour préparer au mieux les futurs professionnels, il faudrait aussi mettre l’accent sur une vision internationale et multiplier les opportunités de stages à l’étranger”, ajoute un ancien élève de La Chabraque. L’intégration de courants de pensée internationaux, tels que le natural horsemanship ou les méthodes de non-violence américaines, pourrait venir étoffer les connaissances des élèves. “Il serait intéressant d’enrichir la formation avec des cours magistraux animés par des experts de disciplines variées, pour encourager une ouverture d’esprit et une meilleure connaissance du milieu équestre”, suggère un élève de BPJEPS. La formation ne doit pas se limiter à l’apprentissage monté. Une meilleure répartition des modules et l’inclusion de cours avec des professionnels, tels que des selliers, des ostéopathes, des éthologues ou des comportementalistes, sur les besoins équins, pourraient grandement participer à l’évolution vers une équitation plus responsable. “La mise en condition psychologique et physique du cheval débute dès les instants passés à pied”, souligne Delphine Rymarz. “En fin de compte, peu importe la méthode, pourvu qu’elle respecte l’intégrité physique et mentale du cheval”, conclut Romain Lavigne.
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© Mélinda Jorge