Quelle place pour le bien-être animal chez les futurs équitants ? (1/2)

Le constat est sans appel, dans l’opinion publique comme dans l’univers équestre lui-même : le bien-être animal doit occuper une place centrale dans la pratique de l’équitation, qui doit encore poursuivre sa mue. Cette nécessité, aussi impérieuse à la base de l’apprentissage que dans le sport de haut niveau, doit s’accompagner de changements profonds, notamment dans les formations visant à préparer les acteurs du monde équestre de demain. 



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© Mélinda jorge

“On ne peut pas concilier quantité et qualité. Démocratiser l’équitation a été un succès, mais cela s’est parfois fait au détriment du bien-être animal. Par exemple, pour réduire les coûts, des centres équestres embauchent un certain nombre d’apprentis, souvent moins bien formés que des titulaires du brevet professionnel de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et du Sport (BPJEPS), ce qui fait baisser le niveau général”, témoigne Pauline Caillaud, élève de BPJEPS au centre de formation UCPA de Bois-le-Roi.

En France, comme ailleurs, le bien-être équin est devenu une valeur importante, cardinale même, pour le monde équestre. Entaché par des scandales relatifs à de la maltraitance ces dernières années, l’univers de l’équitation doit accepter de mener des mutations pour s’assurer de sa pérennité dans une société devenue de plus en plus exigeante vis-à-vis de la bien traitance des animaux. Si des progrès ont déjà été constatés – il suffit de voir le nombre fleurissant de formations spécialisées dans le bien-être, la communication animale ou l’éthologie –, les cursus d’apprentissage jouent un rôle clé pour atteindre cet objectif. “Le secret du changement, c’est de concentrer toute notre énergie non pas à lutter contre le passé mais à construire l’avenir”, disait Socrate. Plus facile à dire qu’à faire… “Le milieu équestre français reste très ‘old school’. Les traditions dominent et le changement est lent”, analyse Brayan Fernandes, groom de saut d’obstacles de haut niveau, qui a notamment travaillé dans les écuries de l’incontournable champion olympique suisse, Steve Guerdat.

Des lacunes d’autant plus présentes dans le secteur des clubs hippiques, pris en étau entre un nécessaire besoin de rentabilité et une transformation des attentes de la clientèle. Le niveau de la pratique équestre de certains moniteurs est alors source de mécontentement. “Pour intégrer le BPJEPS, plusieurs voies existent : avoir le diplômed’animateur d’équitation (AE) ou passer par les tests d’exigences préalables (TEP), un examen d’entrée technique, comme je l’ai fait. En revanche, il n’y a pas d’examen pratique de sortie, ce qui est un problème. L’absence d’évaluation finale réduit la pression sur le niveau équestre, et certains élèves se reposent sur leurs acquis”, regrette Pauline Caillaud. Face au déclin des compétences techniques et l’absence de prise en compte des besoins fondamentaux du cheval, l’heure n’est plus aux questionnements mais à l’action. D’autant que, selon les résultats du sondage mené par notre rédaction, les sujets apparaissant comme les plus importants dans les formations équestres aux yeux des équitants sont la sécurité, le bien-être animal et l’hippologie (connaissance du fonctionnement du cheval), bien avant la performance, qui se trouve tout en bas de leurs préoccupations. Des résultats qui reflètent l’évolutions des moeurs équestres.



L’évolution des moeurs équestres

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© NHMM Photography_FFE

De fait, depuis une dizaine d’années, le monde de l’équitation connaît une profonde transformation. Les pratiques ont évolué, s’éloignant considérablement de l’approche militaire qui dominait autrefois. Acteurs principaux de l’équitation en France, les centres équestres ont permis de démocratiser et de rendre pérenne la pratique à travers une diversification des activités proposées. Cependant, une certaine tension se dessine entre la pédagogie et les attentes des cavaliers. Aujourd’hui, les clubs sont confrontés à un double défi : répondre à une clientèle orientée vers le loisir, tout en assurant une progression technique et un respect accru du bien-être animal. En somme, allier une approche respectueuse du cheval à des objectifs économiques.

Acteur central de l’apprentissage équestre, un moniteur doit obtenir le BPJEPS afin de pouvoir exercer. Alors qu’un grand nombre de moniteurs sont formés chaque année, la qualité des formations dispensées est jugée moyenne voire bonne par les sondés, mais la prise en compte du bien-être animal reste mauvaise (voir graphiques ci-dessous). Sans doute ces résultats reflètent-ils une perception encore trop utilitaire du cheval. L’amélioration du secteur doit ainsi passer par le perfectionnement des formations et la démocratisation des enseignements responsables. De fait, l’absence de module dédié à de nouvelles pratiques davantage respectueuses de l’intégrité physique et mentale des équidés est regrettée. De même, l’apprentissage des besoins innés du cheval est jugé trop superficiel. “L’éthologie est encore perçue comme une discipline à part, alors que cette science (qui étudie les comportements des chevaux et les analyse, ndlr) devrait être à la base de toute discipline”, clame l’un des sondés. “La majorité de nos activités en entreprise repose sur l’animation. Le niveau technique est surtout considéré comme un atout, car il est utile pour concevoir des exercices adaptés aux chevaux. Cela semble peu intéresser les clients”, explique Pauline Caillaud.

En effet, les élèves du BPJEPS sont formés à répondre à une clientèle d’amateurs et de cavaliers de loisir souvent jeunes, et non de professionnels ou de cavaliers confirmés. “C’est un choix de la Fédération française d’équitation (FFE) et du ministère des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative d’avoir autant orienté le diplôme vers l’animation et la pédagogie, ce qui a été nécessaire pour démocratiser la pratique et rendre pérenne notre sport”, précise Delphine Rymarz, coordinatrice des formations équestres du centre UCPA de Bois-le-Roi, celui-ci ayant reçu le label Bien-être animal (BEA). Un état de fait qui suscite des critiques, jusqu’à décourager parfois les jeunes en formation face à la réalité du métier. “Beaucoup intègrent le BPJEPS très jeunes, sans réelle expérience professionnelle dans le milieu équestre”, confie Pauline Caillaud. “Ceux qui ont déjà travaillé dans des écuries ou avec des jeunes chevaux comprennent mieux les enjeux. La maturité est essentielle, notamment pour mieux aborder la pédagogie, un aspect central du BPJEPS.”

Enfin, la qualité des chevaux et de leur éducation apparaît comme un défi supplémentaire, car leur potentiel technique limité restreint lui-même la progression des élèves. “Les chevaux avec lesquels nous travaillons sont principalement des chevaux de club. Cela nécessite de s’adapter à leur fonctionnement et leurs limites, car ce sont eux que nous retrouverons majoritairement dans nos futurs emplois”, souligne-t-elle.



Une tendance vers du mieux

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© Mélinda Jorge

Si l’on sait que la maîtrise technique, le bien-être équin et la performance vont de pair, du temps supplémentaire apparaît nécessaire pour approfondir suffisamment les connaissances. “Les formations sont trop courtes (à titre d’exemple, la durée d’un BPJEPS est d’un an, et peut même descendre à six mois selon la structure et le niveau à l’entrée, ndlr). Pour compenser ce laps de temps trop restreint, il faut que chacun s’investisse individuellement”, relate Julie Lavergne, fondatrice de la méthode 2C2A. Cavalière, enseignante et experte en locomotion et comportement du cheval, la quadragénaire a créé plusieurs formations à partir de son concept 2C2A, que l’intéressée présente comme “une approche équestre globale, où l’étude du bien-être du cheval est au cœur des préoccupations, et l’élaboration d’une méthode d’entraînement sportive, basée sur l’étude du comportement du cheval et de sa locomotion”.

Malgré tout, et le profil de Julie Lavergne l’illustre bien, les choses semblent évoluer. La tendance est à une réelle sensibilisation à travers les réseaux sociaux et une prise de conscience collective. “Je trouve que le monde équestre va plutôt dans la bonne direction en matière de bien-être animal. Beaucoup d’efforts sont faits par les organisateurs de concours, les cavaliers, les grooms et les équipes des écuries pour garantir des conditions optimales”, commente Romain Lavigne, cavalier professionnel. “Même si tout n’est pas encore parfait, je constate une amélioration notable, même dans certains grands centres équestres”, témoigne également François Foucou, moniteur à La Chabraque, structure d’accueil et de formation centrée sur les métiers du cheval dédiée aux jeunes en difficultés sociales, familiales ou scolaires. “Nous avançons dans la bonne direction, en Aveyron comme ailleurs.”

Une dynamique qui gagne le sport professionnel comme la base et les formations. “Aujourd’hui, si un cheval ne se sent pas bien ou montre des signes de faiblesse, nous le ramenons au box ou au pré. Il est inutile de le forcer à quoi que ce soit. À la place, nous réfléchissons et essayons de chercher la cause de son comportement. Penser qu’un cheval refuse un exercice par méchanceté est une erreur. À mon époque, nous n’avions pas ces connaissances-là et nous n’étions pas assez éveillés sur les besoins des chevaux”, analyse Delphine Rymarz, coordinatrice des formations équestres du centre UCPA de Bois-le-Roi. Malgré ces avancées, les centres équestres restent confrontés à des limites matérielles. Bien que les efforts soient tangibles, leur mise en œuvre reste freinée par des contraintes économiques et organisationnelles. “Nous n’avons pas le pouvoir d’agir réellement sur les structures, mais nous donnons des conseils pratiques auxquels les moniteurs peuvent réfléchir : combien d’heures un cheval va-t-il être monté ? Comment répartir ses heures d’entraînement sur une journée et / ou une semaine pour respecter son bien-être ? Etc. Pendant leur formation, nous leur conseillons un schéma idéal, mais qui ne pourra pas toujours être respecté à cause de paramètres économiques… En revanche, nous devons avoir conscience des besoins fondamentaux du cheval pour pouvoir poser des limites claires”, explique Delphine Rymarz.

Face à ces problématiques et ces évolutions, la FFE travaille activement à la refonte de plusieurs formations. Cette initiative devrait permettre de mieux intégrer les notions de bien-être équin tout en renforçant les compétences techniques des futurs professionnels. Le chemin est encore long, mais les premières briques d’une équitation plus équilibrée et respectueuse sont posées. “Il y a sûrement beaucoup plus à faire, mais c’est une question de temps et de moyens dont nous ne disposons pas pour l’instant”, conclut la coordinatrice des formations équestres du centre UCPA de Bois-le-Roi, qui précise que des modules dédiés ont été intégrés aux formations dans les UCPA.

La deuxième partie de cet article est à retrouver ici !